Patrimonial : à la découverte du petit patrimoine de Bretagne
Depuis plus de 100 ans, la Sauvegarde de l’Art Français participe à la préservation du patrimoine national !
Elle édite, à partir de 1981, les Cahiers de la Sauvegarde, publication annuelle qui récapitule les actions menées par l’association dans toute la France. Les plus grands noms de l’histoire de l’art et de l’architecture ont collaboré à la rédaction des notices sur les monuments et objets ainsi sauvés.
Pour célébrer son siècle au service du patrimoine, la fondation se réinvente et crée, en collaboration avec les Éditions du patrimoine, la collection Patrimonial, dirigée par Benjamin Mouton, inspecteur général et architecte en chef des monuments historiques honoraire.
Cette revue a pour objet de mettre en lumière le patrimoine vernaculaire de nos régions, raconté par des experts : chercheurs, conservateurs, mais également artisans ou encore membres d’associations.
Couverture du premier numéro de Patrimonial, dédié au patrimoine breton
Ce premier numéro est dédié au patrimoine portuaire breton, celui qui fait l’âme des villes et villages côtiers de la région sans être, toujours, remarqué. Dix champs d’activité du patrimoine maritime ont été recensés, déclinés en cinq thématiques dans ce numéro : Identité, Bâti, Mémoires, Conservation et Sauvegarde.
Découvrez quelques-uns de ces « petits » patrimoines qui expriment l’identité humaine et culturelle des ports bretons !
Les Abris du marin – œuvre philanthropique d’une vie
Jacques de Thézac est le créateur de l’œuvre philanthropique Les abris du marin. Né à Orléans en 1862, il découvre, à l'occasion de régates, la rudesse de la vie des pêcheurs bretons et se promet de les aider.
Marié à Anna de Lonlay, originaire de Concarneau, ils s'installent à Sainte-Marine dans le Finistère. Là, fidèle à sa promesse, il développe des œuvres pour lutter contre la tuberculose, la misère et l'alcoolisme des marins.
Passionné de photographie, il documente par ailleurs la vie des populations locales au tournant du siècle.
Sa première action est de créer, en 1899, l'Almanach du marin breton. Cette publication rassemble données techniques et conseils de vie et d'hygiène, notamment sur les risques liés à la consommation excessive d'alcool, tout en apportant de la légèreté avec des dessins humoristiques ou des chansons.
Sa seconde œuvre débute en 1900, lorsque Jacques de Thézac fait élever 11 abris du marin dans les ports du Finistère Sud (Camaret-sur-Mer, Douarnenez, Audierne, Sein, Poulgoazec, Le Guilvinec, Île-Tudy, Sainte-Marine, Concarneau, Lanriec, Le Palais) et un dans le Finistère Nord (Roscoff).
Ces édifices repérables de loin grâce à leur fameuse couleur rose, « couleur du bonheur », doivent servir de lieu de repos et de vie , sains, pour les marins. L'alcool y est interdit et des sentences inspirantes sont inscrites sur les solives des abris. « L'être humain ne s'éduque vraiment que dans la liberté que par la vérité » ou encore « Marin buveur, marin sans cœur ; marin sans cœur : ruine et malheur » en sont des exemples parmi d'autres.
Construction de l'Abri de Sainte-Marine en 1910 - Photo Jacques de Thézac - Musée départemental breton
L'abri de Sainte-Marine, inauguré en 1910, est l'un des plus petits, mais aussi l'un des plus fréquentés. Il accueille 23 122 marins au cours de l'année 1932 ! Malgré le déclin de l'œuvre de Jacques de Thézac après sa mort, l'abri de Sainte-Marine reste ouvert jusqu'en 1985. Acquis par la commune, il est finalement transformé en musée pour témoigner de l'œuvre philanthropique de son fondateur. L'association Les abris du marin existe toujours aujourd'hui !
Port à pieux - De la norme à l’exception
Le port à pieux est un type de mouillage qui remonte, en Bretagne, environ au Ve siècle de notre ère. Fréquent, sur la côte nord bretonne, jusqu’au début du XXe siècle, il a quasiment disparu au fil de l’aménagement des ports et des corps morts.
Aujourd’hui, seuls deux ports à pieux subsistent en Bretagne. Le premier, Gwin Zegal, est à Plouha, dans les Côtes-d’Armor et le second, Port de Mazou, est à Porspoder dans le Finistère.
Port à pieux de Gwin Zegal à Plouha, marée haute © Romain Bassenne
Ces ports à pieux sont constitués de grands poteaux en bois de chêne ou d’orme, fichés dans le sol à marée basse et bloqués avec des pierres. Les bateaux s’y amarrent à l’avant et à l’arrière.
Aujourd’hui, ce patrimoine est particulièrement préservé par les deux mairies qui en conservent encore. Elles prennent en charge le renouvellement des pieux pour éviter que ceux-ci soient remplacés par des poteaux de bric et de broc comme par le passé !
Ces deux ports à pieux sont désormais également protégés par la Loi Littoral.
Port à pieux de Gwin Zegal à Plouha, marée basse © Romain Bassenne
Amer - un patrimoine oublié
Un amer désigne tous les points de repère identifiables, qui vus depuis la mer permettent de se guider sans ambiguïté. Ils sont figurés sur les cartes marines.
Il peut s’agir d’un élément naturel, comme un bouquet d’arbres, des rochers, le sommet d’une colline.
Il peut aussi être un élément bâti qui n’est pas lié à la navigation : une tourelle, un moulin ou un clocher comme l’emblématique clocher de l’église Saint-Etienne d’Ars-en-Ré.
Enfin, il peut également être un élément bâti dans le but d’aider à la navigation : phares, bouées et balises !
On dénombre, en France, plus de 6 000 amers, dont « seulement » 200 phares ! Pourtant, c’est ce dernier élément qui est le mieux connu, étudié et préservé, notamment à la suite d’un inventaire mené en 2010. Les autres types d’amers sont eux étudiés et protégés selon les initiatives locales ponctuelles.
Le mât Fénoux, à Audierne, est l’un des amers les plus célèbres de Bretagne. Ce dispositif, inventé par le capitaine de corvette Julien Fénoux, en 1832, est composé d'un mât d'une hauteur de 10 à 15 mètres, sur lequel sont hissés des signaux optiques pour guider les navires vers les ports aux accès difficiles.
Tourelle où était fiché le mât de Fénoux à Audierne © Romain Bassenne
Le mât d’Audierne est installé, en 1843, au sommet d’une tourelle préexistante, avant d’être déplacé en 1882. Inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, la tourelle décoiffée devrait prochainement se voir restituer un mât de 12 mètres.
La préservation des aides à la navigation reste un enjeu important pour la sécurité des marins, mais aussi pour l'histoire et la culture maritimes.
Abris de canots de sauvetage - Solidarité des gens de mer
De tout temps, les gens de mer se sont organisés pour sauver les hommes et embarcations en détresse. Pourtant, au XIXe siècle seul sept canots à avirons sont dédiés à cet usage, le long des côtes françaises.
Napoléon III se saisit de cette cause et la déclare nécessité d’utilité publique par décret impérial, en 1865.
Dès lors, des stations de sauvetage sont implantées dans les zones jugées les plus dangereuses du littoral. Aujourd’hui, il en existe 214, dont 52 en Bretagne, gérées par la SNSM (Société nationale des sauveteurs en mer), composée de bénévoles.
Abri de canot de sauvetage à Sainte-Évette dans le Finistère © Romain Bassenne
Les abris de canots sont le témoin architectural de cette pratique de sauvetage. Élevés près de la mer, sur les quais ou à même les rochers, ils doivent permettre un accès direct du canot à l’eau quelle que soit la marée ou la météo. De construction robuste, pour résister au temps (dans tous les sens de ce terme), ils ont été restaurés voire reconstruits au gré de la modernisation des canots de sauvetage.
Ainsi, à Ploumanac’h, sur la commune de Perros-Guirec, Côtes-d’Armor, l’abri du Kraou, fondé en 1912, dans l’anse de Portz-ar-Mor, a été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Reconstruit en 1948, il trône sur les spectaculaires blocs de granit rose.
Abri du Kraou à Ploumanac'h © HIstoires de patrimoine
À Étel, dans le Morbihan, un abri à canot est fondé dès 1866 ! Un siècle plus tard, un nouvel édifice, en béton armé, est bâti en retrait du premier, sur le quai. Son mécanisme de mise à l’eau du canot, donnant sur la rivière, est désormais le seul de ce type encore en fonctionnement en France, ce qui lui vaut d’être inscrit au titre des monuments historiques depuis 2008.
Bien que régulièrement entretenus, l’édifice et son mécanisme subissent des dégradations liées à l’environnement maritime et ont été entièrement restaurés en 2020 !
Ex voto – Mémoires de vies de marin
Emblèmes de la rudesse de la vie de marin, des angoisses, des naufrages et des miracles, les ex-votos sont nombreux dans les églises de Bretagne. Souvent réalisés, par des marins ou charpentiers de marine, sous forme de maquettes de bateaux attachés aux plafonds, ils semblent flotter au-dessus des fidèles et visiteurs de ces édifices de culte breton.
La « Sainte-Anne », conservée dans la basilique Sainte-Anne d’Auray est sans doute l’ex-voto le plus célèbre de Bretagne ! Cette maquette, figurant une frégate de la Révolution ou du Ier Empire, est particulièrement imposante avec 2,60 m de long pour 1,97 m de haut et 84 cm de large. Elle bénéficie d’un classement au titre des monuments historiques.
Reléguée en réserve depuis de nombreuses années, cette maquette a bénéficié, en 2021, d’une campagne de restauration, dans le cadre du projet « Le Plus Grand Musée de France » porté par la Sauvegarde de l’Art Français.
Elle a désormais retrouvé les hauteurs de la basilique Saint-Anne d’Auray pour plus grand bonheur des nombreux pèlerins, fidèles et visiteurs du lieu.
Maquette de la « Sainte-Anne »© D. Dirou
Lorsque les vœux ne sont pas exaucés et que les marins périssent en mer, débute l’attente puis le deuil des familles restées à terre. Le mur de clôture de l’ancien cimetière de Ploubazlanec témoigne de cette mémoire collective. Il rassemble 25 plaques apposées pour commémorer les disparus en mer, morts dans les campagnes de pêche en Islande. Plus de 2 000 hommes ne sont pas revenus de ces expéditions, entre 1852 et 1935.
Pour en savoir plus sur les abris de marins, les ports à pieux, les amers, les abris à canots, les ex-voto et découvrir bien d’autres patrimoines culturels, matériels et immatériels, des ports bretons, procurez-vous le premier numéro de Patrimonial, édité par la Sauvegarde de l’Art Français !