La Sauvegarde de l'Art Français : 100 ans au service du patrimoine
La France est dotée d’un patrimoine exceptionnel. Chaque région possède ses châteaux médiévaux, ses abbayes romanes, ses églises baroques ou encore ses musées où sont exposées des richesses artistiques uniques.
Si l’on peut encore admirer ces trésors aujourd’hui, c’est grâce à des associations et à des fondations qui se consacrent, depuis parfois plus d’un siècle, à la préservation et à la restauration de ce patrimoine.
C’est le cas de la Sauvegarde de l’Art Français, qui assure depuis plus d’un siècle la mission de sauver les édifices et les œuvres d’art en péril.
Découvrez l’histoire du duc de Trévise et de la marquise de Maillé et des personnes qui, à leur suite, ont consacré leur vie au service du patrimoine !
Aux origines de la Sauvegarde de l’Art Français
Après les destructions de la Première Guerre mondiale, le patrimoine français est au plus mal. Faute de moyens pour les restaurer, des œuvres et des édifices sont laissés à l’abandon, détruits ou démantelés et vendus à l’étranger, le plus souvent dans l’indifférence totale. Certains collectionneurs et amateurs d’art, vont finalement s’émouvoir de cette situation, au début des années 1920.
Joseph Rozès Brousse, président de l’association des Toulousains de Toulouse, le premier, lutte dès 1920 contre les projets de démantèlement du portail sculpté du palais des évêques de Comminges d’Alan, en Haute-Garonne d’une part et du cloître de l’abbaye de Bonnefont-en-Comminges, d’autre part.
Édouard Mortier, duc de Trévise, passionné d’histoire de l’art et collectionneur, est profondément choqué de voir le patrimoine artistique et architectural de la France découpé en morceaux et éparpillé à l’étranger. Pour désigner ce dépeçage culturel, le duc invente le terme d’elginisme. Il s’inspire ainsi du nom de lord Elgin, connu pour avoir démonté l’essentiel des éléments sculptés du Parthénon d’Athènes, au début du XIXe siècle, pour les rapporter à Londres.
Alerté des menaces qui pèsent sur le patrimoine du Midi toulousain, le duc de Trévise décide de réagir. Soutenu par son entourage, également engagé pour cette cause, il fonde, le 9 décembre 1921, une association. Ainsi naît La Sauvegarde de l’Art Français qui a pour objectif, comme son nom l’indique, de lutter pour la préservation de l’art et de l’architecture en France.
Le duc de Trévise et ses amis parcourent les régions de France et sillonnent les campagnes pour tenter de trouver des solutions de sauvetage des œuvres et édifices locaux. En discutant avec les personnes sur place, il constate qu’il n’existe pas de structure vers laquelle se tourner, qui aiderait concrètement à sauvegarder ce patrimoine. Ce constat alarmant est le point de départ de la Sauvegarde de l’Art Français. Être le relais des territoires, défendre le patrimoine au niveau local et devenir un interlocuteur pour l’art, deviennent les principes fondateurs de la Sauvegarde de l’Art Français.
Le rayonnement de l’association est rapidement assuré par le patronage de l’École des Beaux-Arts de Paris. Ce soutien lui assure un gage de sérieux pour ses projets à venir. Le duc de Trévise est également chargé, par le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, Paul Léon, de recenser par des photographies, ce patrimoine français en péril.
Pour faire connaître son combat, le duc s’entoure d’hommes politiques, de journalistes, de conservateurs et d’architectes. Sa cousine, Aliette de Rohan-Chabot, marquise de Maillé, rejoint également la communauté et va devenir l’une des figures emblématiques de l’association.
Vue du village fortifié de Larressingle © Romain Bassenne / La Sauvegarde de l’Art Français.
Les premières actions de la Sauvegarde de l’Art Français
Pour faire connaître l’association au grand public, une exposition sur les Maréchaux de France est organisée de mai à juillet 1922, au musée de la Légion d’honneur à Paris. Quelques mois plus tard, le comité de propagande lance la publication de tracts et de lettres de présentation pour s’assurer un plus grand rayonnement.
Cette notoriété nouvelle permet de générer des adhésions et des dons qui aident à financer les premières actions. Reconnue d’utilité publique en 1925, l’association peut lancer des campagnes de restaurations d’œuvres.
La Sauvegarde met en place des comités locaux, souvent déjà constitués comme les sociétés savantes. En 1925, 80 correspondants agissent sur le terrain pour alerter le siège de Paris, installé 12 avenue du Maine, dans le 15e arrondissement. Une fois ces informations reçues, l’association pilote, depuis la capitale, les projets de sauvetage d’œuvres artistiques et patrimoniales, contre leur vente, leur destruction et leur détérioration.
Local de la Sauvegarde de l’Art Français, 12, avenue du Maine, Paris, 1925, MAP, plaque de verre, boîte 18B ©Sauvegarde de l'Art Français
Dès ses premières années, l’association joue également un rôle d’influence politique. Ainsi, elle contribue à l’élaboration de la loi Chastenet, votée en 1927. Ce texte renforce le régime de protection des biens matériels inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Les partenaires locaux de la Sauvegarde œuvrent pour identifier les édifices pouvant bénéficier de la protection des monuments historiques.
La première grande action de sauvegarde concerne la vache d’Alan, sculpture du portail du palais des évêques de Comminges. Cette œuvre avait été l’élément déclencheur dans la création de l’association. D’autres monuments bénéficient rapidement du soutien de la Sauvegarde à travers toute la France : la chapelle des Augustins à Périgueux, la manufacture de Beauvais, l’atelier d’Eugène Delacroix à Paris ou encore le prieuré Saint-Cosme en Val-de-Loire, entre autres. L’objectif est de sauvegarder, réaménager et parfois racheter des monuments pour les préserver de la ruine.
La Sauvegarde de l’Art Français est sollicitée dans de nombreuses affaires pour lutter contre les falsifications, les vols et la dispersion d’œuvres. Son cheval de bataille est d’agir pour maintenir les œuvres à leur emplacement d’origine ou bien dans des collections de musées au niveau local. Pour éviter que tout ne soit envoyé à Paris, ou à l’étranger, l’association encourage la création de musées dans les régions, dont le musée napoléonien de l’Île-d’Aix est un bel exemple.
La tournée américaine du duc de Trévise
Dans la France des années 1920, l’économie se relève avec difficulté, à la suite des désastres de la guerre, les financements sont difficiles à trouver pour soutenir les projets de la Sauvegarde de l’Art Français.
Le duc de Trévise se lance dans une tournée aux États-Unis, afin de trouver d’autres moyens de financer son association. Il part du Havre le 25 novembre 1925. Son voyage, qui ne devait durer que deux mois, se prolonge jusqu’en juin 1926. Une version américaine de la Sauvegarde est créée, qui prend le nom d’American Foundation for the Safeguard of French Art. Cette initiative est un succès auprès des Américains. New York, Boston, Washington, Chicago, Detroit, Milwaukee, San Francisco, Los Angeles, Philadelphie, le duc de Trévise sillonne le pays et donne plus d’une cinquantaine de conférences sur les objectifs de l’association.
Les dons affluent à chaque événement et sont immédiatement utilisés. La porte Renaissance du château des Bordes à Urzy, dans la Nièvre ou encore la maison Philandrier à Châtillon-sur-Seine, en Côte-d’Or, sont ainsi restaurés.
Dans chaque ville visitée par le duc de Trévise un comité local de l’American Fondation for the Safeguard of French Art est créée. Un système d’adoption de monuments, villes ou de régions est mis en place : la restauration du village de Larressingle, dans le Gers, est financée par le comité de Boston, celle de l’aître Saint-Maclou à Rouen par le comité de San Francisco ou encore celle du prieuré Saint-Cosme, dans le Val-de-Loire par le comité new-yorkais.
Ce soutien américain s’arrête brutalement avec la crise économique de 1929 ; il faut attendre 1937 pour que des dons reprennent, sans pour autant retrouver l’engouement d’avant crise.
L’exposition itinérante présentée dans les salons de Mme Alexander à New York, décembre 1925, MAP, plaque de verre, boîte 44A ©Sauvegarde de l'Art Français
Les premiers projets emblématiques de la Sauvegarde de l’Art Français
Pour lever des fonds et sensibiliser à la cause du patrimoine, la Sauvegarde de l’Art Français ne cesse de faire preuve d’innovation et mène des campagnes originales et variées.
À l’initiative de la marquise de Maillé, l’association édite et met en vente, de 1932 à 1934, des timbres touristiques représentant des édifices en péril. À l’été 1939, la marquise imagine une nouvelle action : une vente de statuettes de chocolat, réalisées par les Orphelins Apprentis d’Auteuil. C’est à nouveau un véritable succès ! L’association peut ainsi poursuivre ses campagnes de restaurations et s’engage, notamment, dans la défense de la cité de Provins et de ses remparts. Par ailleurs, toujours à l’initiative de la marquise de Maillé des comités spécialisés dans la préservation des églises sont fondés.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Sauvegarde est en première ligne pour imaginer l’après-guerre des propriétaires privés afin de les aider à restaurer leurs châteaux, notamment en les ouvrant au public. Elle accompagne également les mairies et paroisses. Ce nouveau défi est pris en main par la marquise de Maillé, qui prend la tête de l’association à la mort du duc de Trévise, survenue en 1946.
À partir de 1964, un nouveau projet d’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France est défendu par la Sauvegarde de l’Art Français. L’objectif est de créer un inventaire national, listant tous les objets d’art présents dans chaque département. Chaque curé doit ainsi, dès sa nomination dans une paroisse, effectuer un inventaire de tous les objets présents dans son église. Ces listes permettent de mieux connaître de nombreuses œuvres restées anonymes.
Durant les années 1960 et 1970, les appels à l’aide des églises rurales se multiplient alors que naissent de nouvelles associations qui œuvrent en faveur des demeures historiques, des vieilles maisons françaises ou des maisons paysannes. Surnommée l’ « ange tutélaire de nos vieilles églises » par son vice-président Jean Hubert, la marquise de Maillé, décide de concentrer l’action de la Sauvegarde en faveur des églises péril.
À son décès, en novembre 1972, la marquise, sans descendance, fait de l’association à laquelle elle a dédié toute son énergie, sa légataire universelle. Ce legs confirme la nouvelle orientation des actions de La Sauvegarde de l’Art Français, il doit servir uniquement pour « le sauvetage et la restauration du gros œuvre des églises rurales non classées, antérieures au XIXe siècle ».
Fronton des bureaux de la Sauvegarde au 22, rue de Douai (Paris IXe) © Romain Bassenne / La Sauvegarde de l’Art Français
La Fondation pour la Sauvegarde de l’Art Français aujourd'hui
La Sauvegarde de l’Art Français a adopté, en 2017, le statut de fondation, lui permettant une plus grande autonomie dans sa gouvernance notamment. Cousin éloigné de la marquise de Maillé, c’est Olivier de Rohan Chabot, à la tête de l’institution depuis 2005, qui a décidé cette modernisation de la gouvernance.
La fondation poursuit sa mission d’origine : défendre le patrimoine local. Elle apporte son expertise et son soutien technique, financier et administratif aux communes et aux particuliers qui la sollicitent.
N’ayant plus de membres payant une cotisation annuelle, un Cercle des mécènes, a été fondé en 2018. Il regroupe les amateurs et passionnés du patrimoine souhaitant participer aux missions de la Fondation par des dons financiers.
Les lycéens de Dunkerque participent au programme Le Plus Grand Musée de France en 2023 © Romain Bassenne / La Sauvegarde de l’Art Français
Les actions de la Sauvegarde de l’Art Français reposent aujourd’hui sur trois piliers.
Elle assure d’abord la restauration d’édifices. Le mur d’une église romane en Bourgogne, la charpente d’une abbaye normande ou encore un clocher baroque de Savoie, sont tous restaurés grâce aux soutiens financiers de la Sauvegarde. Plusieurs milliers d’églises et de chapelles de France ont ainsi été déjà sauvés. L’église Saint-Joseph de Roubaix a pu notamment être réouverte au culte en 2020.
La fondation agit également au service de la restauration des œuvres d’art : peintures, sculptures, orfèvrerie et œuvres textiles. En 2013, elle met en place le programme Le Plus Grand musée de France pour restaurer le mobilier accessible à tous gratuitement en France, et qui constitue de fait le plus grand musée de notre pays. En s’appuyant sur le bénévolat d’étudiants, l’association a réussi à restaurer 250 œuvres entre 2013 et 2023. Aujourd’hui, le programme fait participer des lycéens et des salariés d’entreprises.
Enfin, avec son réseau de 70 correspondants, répartis dans le pays, elle contribue à faire rayonner le patrimoine. Ses membres informent et alertent la fondation sur l’état préoccupant d’un édifice ou d’une œuvre d’art sur un territoire.
Toujours une volonté de diffusion des savoirs, les Cahiers de la Sauvegarde se réinventent, en 2023, pour laisser place à la publication Patrimonial réalisée en collaboration avec les Éditions du Patrimoine. Cette revue annuelle aborde des sujets plus larges et plus accessibles du grand public.
Au fil des ans, la Sauvegarde de l’Art Français a créé plusieurs prix qui permettent de soutenir ou de promouvoir des acteurs qui œuvrent dans le sens de ses missions. Aujourd’hui, la Fondation remet 5 prix au fil de l’année : le prix Maillé, le Grand Prix Pèlerin, le prix Trévise, le prix Lambert et le prix AGP.
Église Saint-Saturnin de Reulle-Vergy, en Côte-d'Or, lauréate du prix Trévise 2023 © Histoires de patrimoine
Pour découvrir la fondation de la Sauvegarde de l'Art Français