Sur les traces de l’audacieuse duchesse d’Uzès
Grande figure de son temps, Anne de Rochechouart, duchesse d’Uzès, a brillé toute sa vie d’une lumière et d’une modernité sans pareil.
Artiste, infirmière militaire, engagée en politique ou encore pilote automobile, elle a marqué son temps par son indépendance d’esprit et sa témérité.
Partez sur les traces d’une des femmes les plus remarquables du XIXe et du début du XXe siècle !
Une grande dame de l’aristocratie française
Marie Adrienne Anne Victurnienne Clémentine de Rochechouart de Mortemart est née le 10 février 1847 à Paris. Fille de Louis de Rochechouart, comte de Mortemart, elle est aussi l'arrière-petite-fille de Barbe Nicole Clicquot, fondatrice de la maison de champagne Veuve Clicquot, qui lui lègue ses biens.
Grande figure de l’aristocratie française du XIXe siècle, Anne de Rochechouart dispose du nom, du lignage et de la fortune.
En 1867, elle conclut un mariage d'amour avec Jacques-Emmanuel de Crussol, qui devient, cinq ans plus tard, douzième duc d’Uzès. Elle prend alors le titre de duchesse d’Uzès sous lequel elle reste la plus connue.
Mère de 4 enfants, elle perd son mari en 1878. Veuve à 31 ans, la duchesse d’Uzès prend la tête d’un véritable empire foncier et financier.
Tenant ses affaires d’une main de maître, elle assure l’éducation de ses enfants tout en s’occupant de ses nombreux biens immobiliers.
Les châteaux de Bonnelles, de La Celle et de Dampierre, dans les Yvelines et le château de Boursault dans la Marne, héritée de la veuve Cliquot, font partie de ses plus belles propriétés.
Château de Boursault dans la Marne © AdobeStock
Mais loin de l’oisiveté, Anne applique à la lettre la devise des Rochechouart « L’esprit surpasse la matière » et entreprend de multiples aventures.
Anne de Rochechouart : une femme hors norme
Membre de la plus haute aristocratie, la duchesse d’Uzès n’en oublie pas moins sa liberté d’esprit et de conduite. Passionnée par la chasse à courre, elle prend part aux parties de chasse organisées dans la forêt de Rambouillet.
Forte d’une grande adresse et d’une témérité certaine, Anne de Rochechouart devient maîtresse d’équipe du Rallye Bonnelles, fondé en 1872 par feu son mari. Lors de ces chasses, elle se joint aux plus grands personnages de l’époque tels que le comte de Fels, les frères Albert ainsi que Gaston et Henri Menier.
La duchesse d'Uzès lors d'une chasse à courre à Rambouillet (1913) ©Agence Rol
Toujours encline à prendre des responsabilités, la duchesse d’Uzès devient la première femme lieutenant de louveterie. Ce nouveau titre lui incombe d’exercer une fonction civique d'auxiliaire de l’État, auprès de sa commune, en matière de faune sauvage et de contrôle des loups.
Son goût pour l’aventure ne s'arrête pas à la chasse à courre. Rescapée de l’incendie du Bazard de la Charité en 1897, elle continue sa quête de sensations et d’innovations. C’est ainsi qu’elle troque les chevaux pour les automobiles.
Une pionnière de l’automobile
Le XIXe siècle est caractérisé par un progrès technique galopant. Outils de production, locomotives, cinématographes ou encore automobiles à moteur à combustion dynamisent l’industrie et ouvrent l’horizon des possibles.
La duchesse d’Uzès s’inscrit pleinement dans cet élan de nouveauté. Elle devient, avec Camille du Gast, l’une des pionnières de l’automobilisme au féminin.
Elle n’est pas la première femme à conduire une voiture, mais l’histoire lui attribue l’obtention du premier certificat de capacité féminin. Ancêtre du permis de conduire, ce document n’avait encore jamais été obtenu par une femme en 1898.
La duchesse d'Uzès se présente au certificat de capacité, ancêtre du permis de conduire, le 12 mai 1898 - Gravure publiée dans La Vie au grand air du 15 mai 1898
Anne de Rochechouart est également connue pour avoir écopé de la première verbalisation pour excès de vitesse au volant de sa Delahaye bicylindre noire type 1. Elle s'acquitte d'une amende de 5 francs pour avoir roulé à 15 km/h dans le bois de Boulogne réglementé, à l’époque, à 12 km/h.
Loin d’être blâmées par la haute société, ces contraventions sont presque des brevets de mondanité. L’automobile et la vitesse ont, à cette époque, conquis les milieux mondains autant que le cœur de la duchesse d’Uzès.
Afin d’encourager les femmes à s’emparer de ce nouveau moyen de locomotion, Anne de Rochechouart fonde, en 1926, à 79 ans, l’Automobile Club féminin de France dont elle prend immédiatement la tête. Grâce à cette structure, elle organise de nombreux rallyes dans toute l’Europe.
La duchesse d'Uzès, présidente de l'Automobile Club féminin de France, en 1927 ©Agence de presse Meurisse
Une femme engagée et audacieuse
En parallèle de ses activités de chasse à courre et de sport automobile, la duchesse d’Uzès prend part à la vie politique de son pays. Son engagement politique est à l’image de son audace et de son indépendance d’esprit. Bien que monarchiste, elle offre son soutien à des causes diverses.
Soutenant financièrement de nombreux mouvements politiques, elle décide d’apporter son aide au général Boulanger, porte-parole des indignés de la IIIe République. Espérant que ce dernier apporterait son aide à Philippe d’Orléans pour rétablir la monarchie, elle lui donne 3 millions de francs pour la prospérité de son mouvement.
Ouverte à d’autres idéologies politiques, elle se lie d'amitié avec Louise Michel, anarchiste de la Commune de Paris, surnommée la VIerge Rouge, à son retour de d'exil de Nouvelle-Calédonie.
Elle finance également l’éducation de Sidonie Vaillant, la fille de l’anarchiste Auguste Vaillant, exécuté en février 1894.
La duchesse d’Uzès est une femme moderne qui ne craint pas de bousculer les normes établies. C’est pourquoi elle apporte son appui au combat féministe. Elle participe notamment, en 1894, à la lutte des féministes souhaitant que le droit des femmes à disposer librement de leur salaire soit garanti par le droit. Une loi en ce sens sera finalement adoptée en 1907.
Persuadée de la nécessité de la solidarité, Anne de Rochechouart organise, le 15 juillet 1903, la journée de l’Élégance et de la Dentelle dans les jardins du Trocadéro afin de venir en aide aux marins bretons. À cette occasion, le magazine Femina lui consacre une splendide couverture.
Surnommée « la duchesse rouge », ses opinions politiques entérinent sa réputation de femme indépendante et audacieuse. Cette vaillance est mise à contribution au tournant de la guerre.
Une infirmière engagée dans la Grande Guerre
La Première Guerre mondiale chamboule la vie mondaine de la duchesse d’Uzès. Fortement touchée par le sort des soldats blessés au front, elle transforme son château de Bonnelles en hôpital militaire auxiliaire. Sous la houlette de la Croix-Rouge, elle y soigne, en tant qu’infirmière major, de nombreux hommes meurtris par les combats.
Convaincue par son ami Maurice Marcille, chirurgien et médecin aide-major, elle prend la présidence de l’association « Formations chirurgicales Franco-Russes ». Cette structure permet la création d’un centre de soins mobile qui opère les blessés au plus près du front.
Comprenant 4 équipes chirurgicales, cette organisation pouvait opérer jusqu’à une soixantaine de soldats par jour.
Centre de soin de la Première Guerre mondiale ©Éditions Arnault
Elle reçoit, à la fin de la guerre, la Légion d'honneur pour sa bravoure. Elle est également promue au grade d’officier et continue son engagement en président l’Œuvre dite des bons-enfants, qui a pour objectif de protéger les veuves et orphelins de la Grande Guerre.
Une artiste accomplie
Passionnée de chasse et d’automobile, engagée en politique puis infirmière militaire, la duchesse d’Uzès n’en oublie pas moins son engouement pour l’art.
Artiste accomplie, elle réalise de nombreuses œuvres sous le nom de Manuela. Auteure de romans, d’essais, de poèmes et de pièces de théâtre, elle fonde, en 1899, le Crédit intellectuel privé pour aider les jeunes écrivains à débuter leur carrière.
Élue présidente de l’Union des femmes peintres et sculpteurs dès 1902, elle possède également un talent remarqué pour la sculpture. Ainsi, une de ses Vierge à l’enfant est exposée dans l’église Notre-Dame-des-Arts du Pont-de-l'Arche.
Elle crée également le monument aux morts de Bonnelles, dans les Yvelines, où elle réside, ou encore la statue de Jeanne d'Arc de Mehun-sur-Yèvres.
Son attrait pour les arts l’accompagne tout au long de sa vie qui s'achève le 3 février 1933. Anne de Rochechouart s’éteint, après une vie hors norme, à l’âge de 85 ans, dans son château de Dampierre-en-Yvelines, non sans avoir fait son baptême de l'air, quelques mois auparavant.