Usine marémotrice de la Rance : les marées, sources d’électricité renouvelable
Le phénomène des marées est resté longtemps énigmatique, avant que des scientifiques ne finissent par l’expliquer grâce à des calculs mathématiques complexes mêlant action du soleil, de la lune et profondeur des océans.
Si la puissance des marées est bien connue, depuis le Moyen Âge, par l’utilisation des moulins à marées, pour moudre le blé en farine, c’est au XXe siècle que l’idée d’utiliser l’énergie de la marée pour produire de l’électricité émerge.
La construction d’une usine, qui restera unique au monde pendant près de 45 ans, est alors lancée en France… Revenons sur l’histoire de l’usine marémotrice de la Rance !
La jeune entreprise EDF relève le défi
Dans les années 1920, l’ingénieur Georges Boisnier publie une « Utilisation de l’énergie des marées », ouvrage de référence qui met en exergue la possibilité d’utiliser la marée comme source d’énergie.
L’ingénieur des Mines Robert Gibrat prend la suite à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il faut remettre sur pied le parc énergétique français : Gibrat fonde la Société d’Études sur l’Utilisation des Marées (S.E.U.M). En 1946, la S.E.U.M est intégrée à l’entreprise EDF tout juste créée et devient un organisme à part entière qui se charge de mettre en œuvre la réalisation de l’usine marémotrice de la Rance.
Pour relever ce défi technique et architectural, une équipe de choc est réquisitionnée.
Un brillant trio
Le chef d’orchestre de ce projet titanesque est l’indispensable Robert Gibrat, sans lequel l’usine de la Rance n’aurait jamais été envisagée.
Il travaille avec un autre ingénieur, polytechnicien comme lui, mais appartenant au Corps des Ponts : Albert Caquot. Pointure du génie civil, Caquot est considéré comme l’un des meilleurs ingénieurs de son époque. L’œuvre la plus connue de ce maître incontesté du béton armé est le célèbre Christ Rédempteur qui domine la ville de Rio de Janeiro au Brésil ! Sur le site de la Rance, on lui doit l’invention des « caquots », des caissons en béton indispensables à la création de zones sèches pour mettre le site à l’abri des flots de la Manche et permettre aux ouvriers de travailler correctement.
Le dernier homme du trio à l’origine de l’usine de la Rance est l’architecte Louis Arretche. Très présent en Normandie et en Bretagne, il a notamment été en charge de la reconstruction de la ville de Saint-Malo après la Seconde Guerre mondiale. Sa mission : réussir à intégrer l’usine dans son environnement sans le dénaturer.
© EDF - Baranger Henri
La Rance en chantier
D’ailleurs, au sein de quel environnement va-t-on construire cette usine ? Après de multiples propositions, c’est l’estuaire de la Rance qui est retenu. Situé au nord de la Bretagne, près de Saint-Malo, il offre les conditions idéales et extrêmement difficiles à réunir : les plus grandes marées d’Europe allant jusqu’à 13,50m, un important réservoir d’eau à l’embouchure resserrée, des sols rocheux assez solides pour supporter l’édification d’un barrage et l’accès à un point de connexion électrique.
EDF procède en parallèle à des analyses scientifiques très poussées sur le terrain. Les riverains éberlués viennent observer d’étranges machines à l’œuvre… L’une d’entres elles marque les esprits, le Diplodocus, un drôle de bateau sur pattes servant à l’étude des fonds marins et à mesurer l’épaisseur des sédiments. Au total, il faut vingt années d’études dans des domaines variés pour pouvoir aboutir au projet final : un bâtiment s’intégrant dans son environnement, capable de résister à l’eau de mer et de produire de l’électricité pour des dizaines d’années.
Le 2 janvier 1961, le chantier peut être lancé ! Plus de 800 ouvriers de toutes origines se mettent résolument au travail. On utilise plus de 460 000 m3 de sable, 350 000 m3 de béton et 15 000 tonnes de métal, sur plus de six années, pour édifier cette usine marémotrice, le barrage de 750 mètres de long ainsi qu’une route reliant Dinard à Saint-Malo.
Inauguration en grande pompe
L’époque est aux grands projets technologiques français : Concorde, TGV, sous-marin nucléaire, etc. L’inauguration de l’usine le 26 novembre 1966 par le président De Gaulle est largement médiatisée : il s’agit de montrer la supériorité technique française par rapport aux autres puissances mondiales américaine, soviétique et britannique et de clamer l’indépendance énergétique française aux côtés d’EDF. Le Président d’EDF Pierre Massé fait d’ailleurs un discours remarqué à cette occasion.
De Gaulle salue « une réalisation impressionnante dans un des sites géographiques et historiques les plus émouvants qui soient sans en briser aucunement l’harmonie et la signification. »
Il est vrai que le bâtiment se fond parfaitement dans le paysage. Même les travailleurs semblent en faire partie, scrutant inlassablement les marées, et surnommés à l’époque « marins immobiles »… Pas si immobiles que cela puisqu’il faut alors parcourir à vélo la salle souterraine de 390 m de long !
© EDF - Baranger Henri
Renouveau industriel ou gloire éphémère ?
L’opinion publique, de son côté, s’interroge : l’usine marémotrice est-elle un vrai renouveau dans la création d’énergie ou n’est-elle apparue, gloire éphémère, que pour mieux disparaître ?
Dans les années 1960, la production de l’usine marémotrice de la Rance représente presque la moitié de la consommation bretonne. Aujourd’hui, l’équivalent serait la consommation de la ville de Rennes. Mais pour une région qui ne produit que 17% de son énergie, le poids de l’usine marémotrice reste majeur !
Un personnel dédié veille sur ce site hautement protégé, entouré de soins constants. EDF a acquis grâce à ce moyen de production expérimental qu’il a fallu moderniser (automatisation de l’usine à la fin des années 80) et entretenir, un savoir-faire inégalable.
Une renommée internationale
La réputation de l’usine traverse les frontières avant même son inauguration. Le 2 mai 1965, le premier journal mondial télévisé (Mondovision) montre à 300 millions de téléspectateurs le chantier de la baie de la Rance.
Fleuron du patrimoine industriel breton, l’usine marémotrice de la Rance a longtemps été unique au monde, puis est devenue un modèle pour la construction de celles qui sont aujourd’hui présentes au Canada, en Russie, au Royaume-Uni, en Corée du Sud et en Chine.
Le site est ouvert aux visites depuis sa mise en construction. À son apogée, il recevait 350 000 visites par an. L’usine marémotrice de la Rance reste l’un des endroits les plus courus de l’ouest, le troisième site le plus visité en Bretagne !
Tous les âges et toutes les nationalités s’y intéressent : ingénieurs coréens s’extasiant sur cette innovation sans précédent, lycéens allemands ou français admirant le fonctionnement de l’écluse, etc. Des visites guidées gratuites sont proposées et des expositions régulièrement organisées.