L'odyssée électrique et le musée Électropolis : rencontre avec Claude Welty
L’odyssée électrique est une grande et merveilleuse aventure ! Découvrez cet univers extraordinaire et le plus grand musée d'Europe qui lui est dédié grâce à Claude Welty, son directeur.
Pouvez-vous vous présenter rapidement ?
Je m’appelle Claude Welty, j’ai 59 ans, et je travaille à mi-temps à la Fondation groupe EDF et à mi-temps au Musée Électropolis à Mulhouse. Dans ces deux postes, je travaille dans le domaine de la culture scientifique et du patrimoine électrique.
La Fondation groupe EDF a des activités sur trois domaines : l’environnement, l’inclusion et l’éducation avec un volet autour de la culture scientifique, le développement de l’esprit critique et de l’esprit citoyen. Dans ce cadre, des expositions sont menées au sein de nos espaces à Paris, dans le VIIe arrondissement. Certaines de ces expositions sont présentées ensuite au musée de Mulhouse ou encore dans d’autres lieux du réseau Odyss Elec dont l’espace EDF Bazacle à Toulouse.
Je me partage donc entre la Fondation groupe EDF et le Musée Electropolis de Mulhouse et je sers de référent pour la culture scientifique.
Claude Welty directeur du Musée Électropolis © Jean-Luc Petit
Quel est votre parcours ?
J’ai fait mes études à l’Ecole du Louvre, à l’Université Paris IV- Paris-Sorbonne et à l’Université de Mulhouse, dans le domaine de la muséologie et de ce qui s’appelait à l’époque l’archéologie industrielle.
C’est ainsi que je me suis rapproché des musées de Mulhouse, que je connaissais déjà, qui œuvrent dans ce domaine : le Musée de l’impression sur étoffe, la Cité du train et la Cité de l’automobile qui ouvrait à l’époque. J’ai eu la chance de rentrer assez rapidement, peu après la fin de mes études, en 1985, au Musée Électropolis, j’ai donc pu suivre tout le projet.
Comment êtes-vous passé de l’histoire de l’art au patrimoine électrique ?
Entre ces deux domaines qui me semblent très proches c’est sans doute la dimension anthropologique des objets et leur design qui m’intéressait le plus.
Je trouvais également intéressant l’étude de la société contemporaine, c’est pour ça que les collections du Musée Électropolis se composent de nombreux objets du quotidien, qui permettent d’étudier l’anthropologie du quotidien.
L’objet électrique représente un objet qui a eu un impact considérable sur la civilisation du XXe siècle et continue à en avoir. C’est un objet absolument fascinant dans son interaction avec notre société.
Vous êtes revenus dans votre région d’origine, quel est votre attachement pour ce territoire ?
C’est en effet une région où le patrimoine est riche et assez original. Le patrimoine électrique y est assez important. Elle était même pionnière depuis le début du XXe siècle avec les aménagements hydraulique du Rhin comme l’usine de Kembs également partenaire d’Odyss Elec. Il y a aussi toute une tradition industrielle autour de Mulhouse qui était qualifié de Manchester français et qui était également, dès la fin du XIXe siècle, un haut lieu de l’électrotechnique. Il y a un vrai foisonnement de patrimoine industriel dans cette région.
Façade du Musée Électropolis à Mulhouse © Xavier Popy - EDF
Pouvez-vous me parler de la genèse du Musée Électropolis ?
Le musée est né pour la sauvegarde d’une seule et unique machine qui est encore au cœur du musée aujourd’hui : la machine Sulzer BBC. Il s’agit d’un groupe électrogène de 1901.
Un groupe d’industriels s’est mobilisé en créant une association pour sauver cette machine exceptionnelle.
Dans ce groupe d’industriels, il y avait des dirigeants d’EDF qui ont pris le projet à bras-le-corps. La décision de sauver la machine et de créer le musée a été prise en 1981.
Il a ouvert ses portes en 1987. Le musée a grandi et s’est modernisé au fil des années et il est devenu aujourd’hui le principal musée de l’électricité et de son patrimoine en Europe.
Qu’en est-il du musée aujourd’hui ? Quel est votre message, quel est votre public ?
Le Musée Électropolis a le label Musée de France. Il a une double vocation, comme tous les musées. Il s’agit d’une part, de conserver et d’étudier des collections autour de l’électricité, de sa découverte jusqu’à ses applications, ce qui est un sujet assez vaste.
D’autre part, évidemment, il s’agit de rendre ce thème accessible au plus grand nombre, en particulier aux jeunes qui sont vraiment notre public de prédilection. Nous avons auprès d’eux une fonction pédagogique pour leur permettre de comprendre les phénomènes électriques, l’interaction entre la société et l’électricité. Cela permet d’ouvrir sur l’actualité et donner une meilleure compréhension de notre société actuelle qui est dans une grande mutation, par la transition énergétique, mais aussi par la transition numérique qu’elle traverse en ce moment.
Le musée est donc un outil pour faciliter cette compréhension et en donner toutes les clés à nos visiteurs et en particulier au jeune public.
Comment vos collections se composent-elles actuellement ?
Les collections sont importantes en nombre. Nous conservons environ 11 000 objets dont 1 000 sont exposés. Elles se divisent en deux familles : tous les objets de la découverte à l’industrie électrique d’un côté et tous ceux des applications quotidiennes, qui ont métamorphosé les modes de vie au XXe siècle, de l’autre. Cela va des objets de confort, de cuisson, jusqu’aux loisirs qui sont évidemment totalement traversés par l’électricité, encore de nos jours.
Nos objets couvrent une période qui va du XVIIIe siècle à la période la plus contemporaine. Cette collection d’objets est représentative de l’importance de l’électricité dans notre vie quotidienne. Elle continue à être alimentée, ainsi, en 2019, une collecte interne aux salariés d’EDF a été lancée.
Visite familiale au Musée Électropolis de Mulhouse © Patrick Bognier - EDF
Quelles sont vos objets préférés dans le musée ?
Mon objet favori, qui sera aussi celui de beaucoup de nos visiteurs, est notre grande machine Sulzer BBC, de 1901. C’est une machine à vapeur qui fait plus de 170 tonnes, avec son alternateur de 6 mètres de diamètre, elle fonctionne devant le public en permanence. C’est tout à fait spectaculaire et reste l’objet le plus extraordinaire qu’on puisse voir au musée et une des plus belles machines au Monde.
Mais l’autre dimension forte de nos collections, ce n’est pas un objet mais la multitude des objets modestes et innombrables du quotidien que peu de musées dans le monde ont conservé.
On peut les voir ici sous toutes leurs formes, qui vont de l’ampoule électrique jusqu’au fer à repasser en passant par les débuts du téléphone par exemple. Ils ne sont pas forcément signés de grands designers, même s’il y en a aussi, mais ce sont des objets qu’on ne peut plus voir mis à part dans très peu de musées dont le nôtre.
Avez-vous mis en place des actions particulières pour le confinement afin de garder un lien avec le public ?
Sans nous en douter, nous avions pris les devants dans la mesure où nous étions le premier musée du Grand-Est à être partenaires de Google Arts & Culture, organisme « non-profit » qui met en ligne les collections de nombreux musées mondiaux en haute définition. Ainsi nous avons pu présenter nos collections de manière virtuelle, permettant aux internautes de découvrir des expositions et notamment cette grande machine Sulzer BBC.
C’est un exercice que nous avons mené il y a un an et qui aujourd’hui s’avère bien utile, puisqu’il est devenu, pendant ces quelques semaines de fermeture, le seul moyen de visiter le musée. Et nous allons continuer à travailler sur des projets de ce type-là bien sûr. Nous avons également mis en avant sur nos réseaux sociaux des contes pour enfants liés à l’électricité.
Quels sont vos projets à court terme pour la réouverture du musée ?
L’équipe va revenir au musée, sans doute à partir du 11 mai et nous allons activement travailler à modifier un certain nombre d’équipements pour que le musée puisse offrir des garanties de sécurité de visite our sa réouverture le 16 juin. Par exemple, on va remplacer les casques d‘écoute par des dispositifs de haut-parleurs, donc on n’aura pas tout à fait les mêmes effets visuels et sonores, mais on va essayer de rendre l’ensemble du musée efficace avec toutes les garanties de sécurité sanitaires.
Certains éléments où l’on passe un peu de temps, comme les démonstrations d’électrostatique où on voit les cheveux se dresser sur la tête, ou encore la cage de Faraday, qui donnait déjà une forme de confinement avant la lettre, vont changer d’espaces.
Nous permettrons ainsi à des groupes d’être suffisamment espacés avec un éloignement de 1m50 entre les sièges, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, pour pouvoir poursuivre ces activités qui sont un des musts pour nos visiteurs. Nous allons transformer le musée pour qu’il corresponde à ces normes qu’on espère transitoires mais qui nous permettrons d’ouvrir avec toutes les conditions de sécurité voulues.
Il y a encore plein de questions qui se posent à nous mais nous allons les résoudre au fur et à mesure où nous allons les rencontrer.
Quels sont vos projets ou vos rêves pour le musée à moyen et long terme ?
Nous avons un magnifique projet : le Jardin des énergies dans lequel nous sommes lancés avec un cabinet de muséographie du Québec qui s’appelle GSM Design.
Ce n’est pas le moment idéal pour les voyages mais nous travaillons beaucoup à distance et le projet va reprendre début juin.
Nous sommes donc en train d’imaginer un jardin de 20 000 m². Il y aura d’abord tout un aménagement paysager, fait avec le paysagiste Paludes à Paris et ensuite un aménagement muséographique, utilisant la réalité augmentée, avec des bornes de découverte de notre patrimoine. Ce sont de gros éléments de patrimoine qui sont à l’extérieur. Nous allons réveiller ces machines grâce à la réalité augmentée et permettre un parcours pédagogique et surtout ludique.
Il sera particulièrement destiné aux jeunes puisque notre cible tourne autour de 8/12 ans, mais il sera également adapté pour les plus petits mais aussi pour les plus grands. C’est vraiment notre grand projet, que nous espérions ouvrir à l’été 2020 mais qui, sans doute, ouvrira au printemps 2021, puisque tous les travaux ont été reportés de quelques mois.
Par ailleurs, nous nous intéressons également à ce qui sera demain le patrimoine mais qu’il faut collecter aujourd’hui. C’est le cas notamment du patrimoine nucléaire.
Avez-vous une anecdote à nous raconter sur l’histoire du musée ?
Le Musée Électropolis a failli ne pas voir le jour ! Lorsque ce lieu a été porté sur les fonts baptismaux par l’association, avec cette grande machine, il n’était pas question du tout que cet espace devienne un musée ni qu’il n’y ait une collection. Nous étions alors dans la logique des centres de sciences purs et durs des années 1980, époque à laquelle est née la Cité des Sciences à Paris.
La logique a changé petit à petit, au fil des premières expositions que nous avons organisées. Nous avons commencé à créer une collection patrimoniale par des dons de particuliers, d’entreprises et des achats, dans un domaine qui n’est pas hors de prix puisque ce sont des objets électriques. C’est ainsi que nous avons constitué cette énorme collection qui fait aujourd’hui référence.
Le moment charnière, se situe à la fin des années 1980, période ou nous sommes définitivement passés du centre de sciences, au musée, tout en conservant la dimension interactive d’un centre de sciences.
Avez-vous un message particulier à faire passer à nos lecteurs ?
Oui, le patrimoine électrique auquel on n’associe finalement pas grand-chose, puisque l’électricité est un fluide invisible, est en fait un des patrimoines les plus innovants et importants du XXe siècle ! Le musée fait partie du réseau Odyss Elec qui associe des lieux de conservation et de valorisation du patrimoine électrique. Il y a en France un nombre extraordinaire de sites de production, certains hydrauliques, d’autres thermiques, nucléaires même avec la « Boule » de Chinon qui est déjà entrée dans le patrimoine depuis des décennies. Ce patrimoine est encore bien méconnu et je pense que du point de vue du patrimoine industriel, c’est pourtant la richesse patrimoniale la plus importante du XXe siècle en particulier en France.
Pour en savoir plus sur le musée Électropolis suivez ce lien.