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19/01/2023
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La minuscule, une histoire capitale

Certaines de nos actions quotidiennes sont devenues si familières que nous avons perdu depuis longtemps la genèse de ces pratiques. L’écriture moderne est l’une d’entre elles. Pourtant, l’emploi de la minuscule n’a pas toujours été une évidence…

Au commencement était la capitale

Enluminure et écriture en lettres capitales

Au début du Moyen Âge, l’écriture est une tâche réservée principalement aux moines. Les manuscrits sont écrits et recopiés à la main dans des ouvrages imposants où chaque page est agrémentée de dessins que l’on appelle des enluminures. Le travail est minutieux, mais la tâche colossale !

Les lettres sont alors toutes tracées en capitales romaines. La forme générale de chaque caractère varie peu d’un monastère à l’autre, même si certains apportent leur touche personnelle en créant des « styles ».

Mais au VIIe siècle après Jésus Christ, l’écriture connaît une révolution.

Le contexte d’une Europe en pleine mutation

C’est dans une Europe troublée par la chute de l’Empire romain en 476 que l’histoire de l’écriture a pris un nouveau tournant. À cette époque, les différents peuples composant l’ancien empire se partagent les terres en plusieurs royaumes. Sous le règne de Clovis (466-511), les Francs s’emparent d’une grande partie de la Gaule.

Bien qu’au départ, la chrétienté ne soit pas totalement enracinée dans le monde franc, elle gagne en intérêt au cours des Ve et VIe siècles. Les monastères se multiplient alors sur leur territoire. Ces lieux de vie spirituelle, mais également de littérature, deviennent des centres de développement de l’écriture.

Écriture de Luxeuil

Colomban, un moine irlandais au fondement d'une nouvelle graphie

Vitrail de San Columban, en la abadía de Bobbio

Au VIe siècle, un moine irlandais, Colomban (543 – 615), parcourt l’Europe avec quelques disciples afin d’établir de nouveaux monastères. Son périple le mène jusque dans les Vosges, qui, dans le monde médiéval, représentent un emplacement stratégique entre est et ouest, nord et sud.

Il fonde ainsi trois monastères : Luxeuil-les-Bains, Annegray, et Fontaine. En quête d’un endroit propice à l’établissement de sa communauté, Colomban et ses disciples choisissent de s’installer sur les ruines d’un bourg gallo-romain : Luxovium. C'est ici qu'ils expérimentent une nouvelle graphie.

 

 

L’origine monastique de la « minuscule mérovingienne »

Cloître de l'abbaye de Luxueil-les-Bains

La ville romaine de Luxeuil, située en Haute-Saône, reprend vie vers 585-590 avec la fondation d’une abbaye et plus encore avec l’implantation d’un scriptorium (un atelier de transcription de manuscrits). Les moines scripteurs expérimentent alors de nouveaux styles de tracés. Les lignes capitales encore droites laissent place, petit à petit, à des lettres de plus en plus rondes.

La taille de l'alphabet et les espaces entre les lettres se réduisent jusqu’à aboutir à une police de caractères dite « de Luxeuil », ou bien « minuscule mérovingienne ».

La minuscule est née, marquant un grand pas dans l’évolution de l’écriture en l’Occident médiéval ! Cette graphie se transmet à d’autres monastères puis, au fil du temps, donne naissance à de nouvelles « minuscules » jusqu'à devenir notre écriture cursive moderne.

Une minuscule aux multiples caractéristiques

La minuscule dite mérovingienne est issue de l’évolution hétérogène de l'écriture cursive romaine. Les lettres étant liées entre elles, cette écriture permet une rapidité d’exécution. Les ligatures, c’est-à-dire les fusions de deux ou trois graphèmes, sont fréquemment employées et les mots ne sont pas toujours séparés les uns des autres. 

Lectionnaire de Luxueil

C’est au sein des monastères que ce style d'écriture se développe. Toutefois, plusieurs variantes voient le jour en fonction des scriptoriums. Ainsi, apparaît l’écriture dite de Luxeuil dont la principale caractéristique est la forme ouverte de la lettre « a ».

Il convient de la distinguer de l’écriture de Laon qui s’avère être plus horizontale et étalée.

Enfin, l’écriture de Corbie est la plus complexe des trois et sera la base de l’écriture caroline.

L’unification de l’écriture autour de la « minuscule caroline »

Vita Sancti Martini de Sulpice Sévère ; manuscrit du VIIIe siècle, composé en minuscules carolines (Paris, BnF)

Comme toute forme d’écriture cursive, la « minuscule mérovingienne » a connu une forte évolution au cours des siècles et de son utilisation. Son développement a été une grande avancée dans la diffusion des documents écrits, mais son manque d’homogénéité territoriale lui faisait défaut.

Ainsi, au VIIIe siècle, sous l’impulsion de Charlemagne, l’école palatine tenue par le poète et théologien Alcium a élaboré une nouvelle forme d’écriture : la « minuscule caroline ». Elle se propage très vite dans l’abbaye Saint-Martin-de-Tours où Alcuin se retire à la fin de sa vie. Enfin, elle se répand dans tout l’Empire carolingien par l’intermédiaire des codices, des capitulaires et divers autres textes religieux.

Contrairement à la mérovingienne, la « minuscule caroline » présente un style uniformément reconnu sur le territoire. Ses lettres sont relativement arrondies et régulières, avec un véritable espace entre les mots, ce qui facilite grandement la lecture.

Vous pouvez maintenant repartir à vos travaux, sachant désormais que sur votre feuille, une histoire capitale est tracée en minuscules !

Pour aller plus loin

C’est à la Bibliothèque nationale de France qu’on peut aujourd’hui trouver ce qui est considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de l'enluminure mérovingienne et le plus beau témoignage de cette nouvelle écriture : Le lectionnaire gallican ou Lectionnaire de Luxeuil (référence BnF, man. lat. 9427).
Ce manuscrit, écrit vers l’an 700, a été découvert, à Luxeuil, en 1683 par le moine érudit et historien Jean Mabillon (1632-1707).

 

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