Petite histoire du snobisme, de l'Empire romain à Boris Vian
De toute évidence, on n’aimerait pas être traité de snob. Avec sa connotation péjorative et sa sonorité qui évoque elle-même le dédain, ce mot désigne une personne ayant une haute opinion d’elle-même et de son statut social, méprisante mais également méprisable.
On pourrait croire que le terme date du XIXe ou du XXe siècle, lorsqu’il s’est répandu, mais il n’en est rien.
Partez avec nous à la découverte de l’origine de ce mot, pour comprendre pourquoi il a alimenté tout un pan de la culture populaire.
Antiques origines
Sous la Rome antique, la société est traditionnellement divisée entre patriciens et plébéiens, la classe aristocratique et la classe populaire. Si la séparation est très nette à l’époque de la République, la frontière devient plus ténue sous l’Empire.
Une nouvelle pratique naît alors: l’empereur peut accorder à une famille plébéienne, en récompense de services rendus, le droit d’inscrire ses enfants dans une école réservée aux patriciens. Cependant, Rome étant encore loin de la méritocratie, les maîtres tiennent à distinguer les nobles des non-nobles et apposent à côté du nom des élèves plébéiens l’abréviation “s.nob”, pour sine nobilitate, qui signifie littéralement “sans noble naissance”.
Un passage par Cambridge
L’usage de cette abréviation se perd pendant de nombreux siècles, et c’est à Cambridge dans les années 1830 qu’elle réapparaît. Les opinions divergent quant à sa signification précise parmi les étudiants.
Le terme pourrait provenir d’un mot d’argot anglais désignant les cordonniers, métier représentatif de la classe populaire au XIXe siècle. Les étudiants de Cambridge l’auraient repris pour faire référence à toutes les personnes extérieures à leur université.
Une autre explication reprend l’origine latine du mot snob, qui en anglais signifie “homme de condition modeste”. Les “snobs” seraient alors les fils de bourgeois enrichis pendant la révolution industrielle, fréquentant à présent les prestigieux établissements de Cambridge ou d’Eton, jusqu’alors bastions de l’aristocratie. Par opposition, les “nobs” sont les étudiants issus de la noblesse anglaise.
Le terme passe dans le langage courant au milieu du XIXe siècle, notamment après la parution du Livre des Snobs, un ouvrage satirique de William Thackeray.
Snobisme et littérature
Avec l’apparition d’une classe bourgeoise au XIXe siècle, le mot snob prend toute sa signification : c’est l’incarnation du parvenu en mal de reconnaissance qui copie les manières de l’aristocratie. Devenu un ressort du comique, il alimente bien des écrits. Au début du XXe siècle, des pièces de théâtre mettent en scène des personnages typiquement snobs, on en retrouve notamment dans le vaudeville.
Proust, dans À la recherche du temps perdu, brosse un portrait désopilant et peu tendre du snob, à travers le personnage de la marquise de Cambremer, jeune femme issue de la bourgeoisie qui cherche à copier les moeurs de l’aristocratie sans remarquer qu’elle se couvre de ridicule.
Le snob, un archétype social
Dans la seconde moitié du XXe siècle, la figure du snob entre vraiment dans la culture populaire à travers la chanson, le cinéma et l’humour. La chanson Je suis snob, interprétée par Boris Vian en 1953 dépeint avec beaucoup d’humour l’absurdité du snobisme et la course à l’originalité qui caractérise cette frange de la société. Plus récemment, le film à succès Les Visiteurs joue avec l’archétype du snob représenté par Jacques-Henri Jacquart. Le personnage du snob reste un indémodable des humoristes et des films comiques.
Fréquemment employé aujourd’hui, le terme de snob ne doit pas être confondu avec le dandy. Alors que le snob va rechercher l’approbation du groupe jusqu’à gommer toute sa personnalité, le dandy, lui aussi présent dans la littérature et les arts, va au contraire chercher à se démarquer de la société par des manières extravagantes.