La Terreur en procès : Loris Chavanette, spécialiste de la Révolution
Historien et chercheur spécialiste de la Révolution et de l’Empire, Loris Chavanette est notamment l’auteur de Waterloo. Acteurs, Historiens, Écrivains paru aux éditions Gallimard en 2015. En 2017, il sort Quatre-vingt-quinze - La Terreur en procès. Cet ouvrage récompensé par le Prix de la Fondation Stéphane Bern pour l'Histoire 2018 entraîne le lecteur à la recherche de quelques-une des causes les plus profondes de l'échec politique de la Révolution... Rencontre avec son auteur !
Un ouvrage dédié à Thermidor peut surprendre. Ce n'est pas le sujet favori des historiens qui s'intéressent à la période révolutionnaire. Ce choix a-t-il été une évidence ? Pourquoi ?
C’est Patrice Gueniffey [historien de l'Empire et de la Révolution] qui m’a mis sur la piste de la France thermidorienne alors que je voulais à l’origine faire une thèse sur le procès de Danton. Je ne fus pas difficile à convaincre. Je lui en sais gré. Le sujet de Thermidor a été moins traité que celui de Danton. Il y avait plus de matière pour un travail original et nouveau. La recherche c’est aussi cela : lire les archives que d’autres ont déjà parcourues et découvrir de nouveaux documents là où tout restait à explorer. J’ai mis six ans pour écrire ma thèse, auxquels il fallut ajouter quatre années pour boucler mon livre. Je ne déplore pas une année de perdue !
En quoi la France thermidorienne, dont on date les débuts à la chute de Robespierre, est-elle une époque charnière dans l'histoire de notre pays ? Est-ce seulement parce qu'elle met fin à la Terreur ?
Indéniablement, la chute de Robespierre le 9 thermidor et la fin de la Terreur qui a suivi ont marqué fortement notre histoire. Il y a un avant et un après la Terreur parce que l’expérience douloureuse et traumatique des années 1793 et 1794 a changé la perception de la Révolution dans son ensemble. Pour la première fois, les révolutionnaires sont obligés de regarder derrière eux pour comprendre ce qui s’est passé et comment les droits de l’homme, normalement universels et intemporels, ont pu être à ce point violé durant plus d’une année.
Les historiens ont beaucoup insisté sur le désespoir et le désenchantement immense causés par les révélations autour des crimes de la Terreur, comme si la démocratie ne pouvait pas s’en relever. Je crois qu’il y a certes du vrai dans cette idée que désormais en France, on aura profondément peur des insurrections, peur d’un retour de la Terreur, et même peur dans les révolutions qui livrent la nation à la guerre civile, la plus terrible de toutes.
Mais après la chute de Robespierre, il y a aussi une formidable union nationale. La dénonciation de la Terreur de l’an II a un temps réuni les Français autour de l’idéal de liberté. De ce point de vue, je crois que nous sommes plus les enfants et héritiers de Thermidor que de la Terreur. Pour donner un exemple, les deux dates les plus célèbres du calendrier républicain ont toujours été le 9 thermidor et le 18 brumaire quand Napoléon prit le pouvoir. Ce sont deux tournants majeurs de notre histoire.
Qu'est ce qui a suscité votre intérêt particulier pour cette période de notre Histoire ?
Depuis toujours la Révolution a nourri mon imaginaire. Toute la littérature du XIXe siècle est nourrie de cette énergie à nul autre pareil. J’ai été véritablement bercé des lectures de mon adolescence en découvrant les personnages du roman Quatre-vingt-treize de Victor Hugo à qui j’ai voulu dédié mon livre en l’intitulant Quatre-vingt-quinze, cet autre moment crucial de la France révolutionnaire avec 1789.
Il y a une autre raison à cet intérêt pour la Révolution, c’est qu’il s’agit d’une crise politique qui interpellera toujours les Français et les passionnés des luttes politiques. Personne ne peut donner sa vision de la Révolution sans exciter des passions, débats et controverses. Et j’avoue avoir un faible pour les conflits d’opinion ainsi que pour les querelles de personnes et d’idées. Un débat sur la période est toujours une forme de pugilat philosophique. Notre pays plus que tout autre est une nation politique avec son lot d’espérances et de haines. On peut le déplorer mais c’est un fait. Le grand historien Fernand Braudel écrivait dans L’identité de la France : « L’Ancien Régime, la Révolution française, ce sont des faits proches, quasi contemporains… Nous étendons la main, nous les touchons ». je crois que c’est assez exact. La Révolution est éloignée et proche de nous à la fois, qui sommes ses héritiers.
Cela tient notamment au fait que la Révolution est alimentée d’une forme de romantisme historique, une croyance dans le progrès, même si parfois elle a généré des massacres, envoyé nos écrivains et savants à l’échafaud, et démoli notre patrimoine au gré d’une vandalisme déplorable et barbare, notamment contre les églises.
Ce n’est pas pour rien que le romantisme littéraire est né sur les cendres du romantisme politique. Lamartine, Hugo, Vigny et même Chateaubriand ont une fascination pour la décennie révolutionnaire pleine de contrastes et de drames. La Révolution est bel et bien une tragédie, antique et moderne à la fois, dont le 9 thermidor est un des actes marquants et sanglants.
Parmi les grands personnages qui ont marqué Thermidor, l'un a-t-il particulièrement retenu votre attention et pourquoi ?
C’est vrai que les meilleurs sont partis les premiers comme le veut un adage. Les plus grands révolutionnaires sont passés au fil de l’échafaud et il n’y a guère que Mirabeau qui ferma les yeux avant qu’il soit dressé sur la place de la Révolution.
Si je devais retenir une figure des années 1794 à 1799, je retiendrais Tallien, l’ancien ami de Danton. Il est jeune, il est beau, son épouse, la Cabarrus, est jeune et belle comme lui. A eux deux, ils dominent le Paris de cette époque, sans oublier Barras. Tallien a une éloquence foudroyante à la tribune. Ce fils de portier d’un aristocrate parisien a presque été élevé par le ci-devant noble qui le prit sous son aile. La Révolution c’est aussi un puissant ascenseur social avec la découverte de nouveaux talents. Mais l’époque est sans pitié pour les vaincus. Tallien, qui participa aux massacres de septembre, à la chute de Robespierre, à la sortie de la Terreur comme député à la Convention puis sous le Directoire, qui participa encore à l’aventure égyptienne de Napoléon, finira sa vie presque comme mendiant à Paris. Tous ces personnages sont romanesques à leur manière. Il faut dire qu’ils sont de toutes les intrigues, pour le plus grand bonheur des historiens !
Avez-vous fait des découvertes inattendues sur la France thermidorienne durant vos recherches ?
A vrai dire, la plupart des livres et manuels d’histoire que j’avais lus sur la période m’avaient engagé à croire que la Terreur avait continué sous d’autres formes, notamment avec la militarisation de la justice. En réalité, je crois que c’est tout l’inverse. Mes travaux en archives m’ont convaincu que la sortie de la Terreur était beaucoup plus complexe que cela.
Une série de mesures prises par la Convention nationale à partir du 9 thermidor révèle une autre manière de faire de la politique. Patrice Gueniffey avait parlé de « politique de la terreur » pour qualifier la France de l’an II ; je me suis essayé à dire qu’après Robespierre, on assiste davantage à une « politique de la clémence ». Les girondins survivants sont réintégrés dans l’assemblée, les jugements arbitraires sont annulés, les familles de victimes recouvrent leurs biens, et surtout, moment sublime bien qu’éphémère, une amnistie a été offerte à la Vendée fin 1794, début 1795. Le général chouan Charrette entra sous la tente dressée près de Nantes pour négocier et signer la paix. Les portraits qu’ont fait les témoins de cet épisode sont saisissants. C’est un moment décidément trop peu connu que cette France thermidorienne. J’ai essayé de lui redonner la place qui est la sienne dans notre histoire et notre mémoire collective.