Aix-en-Provence, l’envers des décors
Elle tend les bras, la capitale historique de la Provence, où règne la douceur de vivre au rythme des chants des cigales et des bruissements de ses nombreuses fontaines, de ses placettes aux pierres dorées.
Aquae Sexitae, comme l’ont nommé ses fondateurs, une garnison romaine en 122 avant J.-C., garde fièrement dans le dédale de ses rues historiques, des hôtels particuliers et des maisons qui renferment des trésors…
On les appelle « gypseries », décors muraux, mélange de plâtre et de chaux qui ont envahi les intérieurs de maisons aristocrates et bourgeoises dès le XVIIe siècle.
Peu s’en faut pour imaginer l’opulence d’une société engourdie par la richesse du commerce et les chaleurs accablantes d’été que la montagne Sainte-Victoire peine à ombrager.
Au loin, la montagne Sainte-Victoire domine l’ancienne capitale de la Provence
Ici, à Aix-en-Provence, musarder est un art, et la rédaction de « J’aime mon Patrimoine » s’est livrée à l’agréable exercice de pousser les portes de maisons qui gardent jalousement, à l’abri des persiennes, des décors qui font la renommée de la ville.
Le plus parisien des hôtels Aixois, l’hôtel de Caumont
Le Quartier Mazarin, l’écho provençal de la Rome baroque.
Lové au sud du cours Mirabeau, il est un quartier qui porte le nom du frère du très illustre cardinal de Mazarin. Michel Mazarin, nommé archevêque d’Aix-en-Provence en 1645, désire la construction d’un quartier aux avenues rectilignes, construit ex nihilo en place des anciennes fortifications de la ville.
C’est ainsi que voient le jour des maisons et hôtels particuliers dont les élégantes façades s’alignent rigoureusement pour préserver la fraîcheur de jardins à la française, abrités des regards.
Le quartier Mazarin
Inspiré de la Rome baroque, ce flamboyant quartier connaîtra jusqu'à la fin du XVIIIe siècle des évolutions architecturales dont la richesse des décors intérieurs ne cessera de croître.
C’est à Alexandre Mahue, chercheur à la faculté d’Aix en Histoire de l’Art, que nous devons le sésame pour pénétrer les intérieurs secrets et privés, propriété de familles aixoises depuis plusieurs générations.
Un privilège que nous entamons par la visite de l’Hôtel d’Olivary, construit en 1656 par Jean Daret, peintre du roi, et qui renferme deux niveaux de gypseries envoûtantes.
« La domesticité logeait peu dans les demeures aixoises, les décors y sont donc abondants » .
Salon XVIIIe de l’hôtel d’Olivary
Au premier étage, généralement réservé aux appartements de Monsieur, l’enfilade des décors « Régence » fait écho aux gypseries de la moitié du XVIIIe siècle de l’appartement de Madame au rez-de-chaussée, accès privilégié aux jardins.
Enfilade de décors de gypseries côté jardins, hôtel d’Olivary
« Nous retrouvons deux types de gypseries à Aix, ornementales et didactiques. Elles sont toutes deux le reflet des ambitions intellectuelles de la société aixoise ». Des dates d’exécution ? Oui pléthore ! Mais inutile de lier avec systématisme une date à un style.
Aix-en-Provence fait fi des courants de mode en vigueur à Versailles et dans les grandes cours européennes. Ici, le style rocaille va perdurer jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Ce qui n’empêche pas la société « bourgeoise et aristocrate confondue » de s’inspirer de thèmes en vogue comme les 4 saisons, les 5 sens ou les scènes mythologiques.
Scène champêtre d’un dessus de porte de l’hôtel d’Olivary
Poursuite de la visite à quelques encablures par l’hôtel de C.., qui renferme des décors attribués à l’un des maîtres de la gypserie aixoise du début du 18e siècle, Bernard Honoré Turreau dit « Toro », également auteur du maître autel de la cathédrale Saint-Sauveur.
Le style régence, masculin et raffiné de l’hôtel de C, amorce les courbes légères et féminines du style rocaille
Dans cet hôtel, l’enfilade des salons magnifiquement préservés reprend toutes les caractéristiques du style « Régence ». Les mascarons grotesques, les cupidons et amours, les arabesques et guirlandes de lauriers s’animent de dessus de portes en trumeaux, invitant le visiteur à la rêverie…
Détail d’un dessus de cheminée de l’hôtel de C, réalisé par le maître gypsier Bernard Turreau dit « TORO »
A l’heure où le soleil jaunit, donnant sur les jardins de l’Hôtel de Caumont, nous pénétrons le deuxième étage de l’Hôtel de Lagoy.
Son locataire, antiquaire parisien installé à Aix, a fait de son appartement un show room où les meubles d'époque côtoient un superbe répertoire ornemental du XVIIIe siècle comme dans le salon de musique, où l’opulence et la délicatesse des attributs se détachent des murs jaune pâle.
La douceur de vivre du salon de musique de l’hôtel de Lagoy
Les fastes retrouvés de l’Hôtel de Caumont
Au cœur du quartier Mazarin, il est un lieu qui rappelle les fastes de constructions parisiennes du début du XVIIIe siècle. Rare témoin d’une disposition classique entre cour et jardins, l’hôtel de Caumont est à l’image des fonctions de son commanditaire François Rolland de Réauville, Marquis de Cabannes et second Président de la Cour des Comptes d’Aix-en-Provence.
L’imposante façade de l’hôtel de Caumont fait écho au rang de son commanditaire
Alors que les plans sont l'œuvre du célèbre architecte parisien Robert de Cotte, les décors intérieurs de gypseries ont été fièrement confiés aux artisans aixois, maîtres en réalisation de gypseries et qui profitaient de carrières abondantes aux portes de la ville.
Détail d’un trumeau de la chambre de Pauline, après restauration des gypseries redorées à la feuille d’or
Les appartements, richement décorés, et qui ont fait l’objet d’une minutieuse rénovation par Culturespaces durant plus de deux ans, ont retrouvé leur lustre d’antan.
Le salon de musique de l'hôtel de Caumont
Accueilli par une paire d’Atlantes soutenant la délicate rampe en fer forgé de l’escalier d’honneur, le visiteur parcourt entre autres, le salon de musique aux scènes mythologiques, le salon des rinceaux décoré des quatre vertus cardinales, en passant par la délicate chambre de Pauline.
Escalier d’honneur, hôtel de Caumont
Une balade qui offre un aperçu de la quintessence des décors de gypseries provençales.
Détails du salon des rinceaux, hôtel de Caumont
À Aix-en-Provence, nul besoin de forcer l’imagination pour comprendre la vie luxueuse des oligarques de l’Ancien Régime.
Gypseries rocailles de la Chambre de Pauline, hôtel de Caumont
Sous des décors oniriques, érigés telle une voûte céleste, l’exécution parfaitement provinciale des gypseries confère aux intérieurs des maisons un écho des plus romantiques à une ville fière comme sa devise : « Generoso sanguine parta ! » (Issue d’un sang noble).
Auteur : Eric Polaud de Lochner