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06/10/2021
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Lumière sur la Fée Électricité : les dessous de l'oeuvre

Une œuvre d'exception

En 1937 a lieu l’Exposition internationale des arts et techniques appliqués à la vie moderne, à laquelle la Compagnie Parisienne de Distribution et d’Électricité (CPDE), future EDF, participe.

Elle demande au peintre Raoul Dufy de produire une œuvre représentant les progrès techniques liés à l’électricité : c’est la fameuse Fée Électricité. D’abord installée dans le Palais de la Lumière et de l’Électricité, conçu par l’architecte Robert Mallet-Stevens, elle est déplacée au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 1964, suite à son don par EDF dix ans plus tôt.

Dans un précédent article, J’aime mon Patrimoine vous contait son histoire, à l’aide de Sophie Krebs, conservateur général au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. Nous nous attachons maintenant à comprendre la manière dont Raoul Dufy a créé son œuvre, J’aime mon Patrimoine est parti à la rencontre de Cécile des Cloizeaux, restauratrice de peinture mandatée par Paris. 

Représenter l’insaisissable

Cependant, le défi de Raoul Dufy est de taille : il doit représenter l’invisible. Pour donner une dimension sensible à l’électricité, le peintre fait appel à des techniques anciennes permettant de donner un aspect lumineux à la matière. La Fée Électricité est une œuvre dans laquelle la couleur s’exprime en transparence.

Les panneaux sont d’abord recouverts d’une couche de médium à l’huile blanc, appliqué en plusieurs couches, qui renvoie la lumière. Puis, les couleurs sont appliquées avant d’être recouvertes d’un vernis assurant la pérennité de la matière ainsi que la sonorité des couleurs.

Cette technique résulte d’un travail de recherche mené par le restaurateur Jacques Maroger, qui portait un grand intérêt à la peinture des Primitifs Flamands, comme Van Eyck. Le chimiste de la maison Lefranc, qui a fourni les pigments, a suivi les recherches de Jacques Maroger. Les pigments, en fonction du degré de transparence souhaité, sont associés à une quantité de liant variable. Le liant pensé par Jacques Maroger est constitué d’un mélange d’huile et de colle : l’huile permet la transparence et la richesse de la matière, tandis que la colle assure un séchage rapide.

Raoul Dufy, La Fée Electricité, 1937, Au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris © ADAGP, Paris, 2021 - Kleinefenn

Le plus grand tableau au monde

Raoul Dufy, La Fée Electricité, 1937, Au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris © ADAGP, Paris, 2021 - Kleinefenn

Raoul Dufy réalise alors une forme d’exploit : assisté de deux peintres, les 600 m² de toile sont recouverts de 500 kilogrammes de peinture, et ce, en moins d’un an. La quantité de peinture utilisée est, proportionnellement à la surface couverte, très faible.

La Fée Électricité devient, à l’époque, le tableau le plus grand au monde. Cette œuvre-record fait appel à d’autres techniques innovantes, comme l’utilisation de la lanterne magique.

Si ce procédé, qui permet de projeter des formes sur une surface, n’est pas nouveau (il est créé au XVIIe siècle), son utilisation par Raoul Dufy l’est.

Pour assurer la juste réalisation des personnages, il photographie des comédiens de la Comédie Française, vêtus des costumes représentés sur les panneaux.

Les photographies sont ensuite projetées à l’échelle désirée sur leur espace de réalisation, ce qui permet à Raoul Dufy de laisser libre cours à sa création.

La Fée Électricité à l’épreuve du temps

Le Palais de la Lumière et de l’Électricité, qui accueille l’œuvre, est situé à la Porte n°23 de l’Exposition, face à l’École militaire : cette place de choix a permis d’attirer 1 550 000 visiteurs ! Mais La Fée Électricité a été démontée à la fin de l’Exposition internationale. D’abord remisée, il est ensuite question de l’installer dans une université.

Après la Seconde Guerre mondiale, la Compagnie Parisienne de Distribution de l’Électricité, qui possède La Fée, devient partie prenante de la création de l’entreprise Électricité de France (EDF). Il faut attendre 1954 pour qu'EDF sauve La Fée Électricité de l’oubli, en l’offrant au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Changement d’écrin pour cet ensemble monumental qui intègre le musée dix ans plus tard.

La Fée Électricité est installée dans une salle à la mesure de son gigantisme. Elle épouse parfaitement les murs courbes de la salle-cathédrale qui l’accueille. Malheureusement, Raoul Dufy n'assiste pas à cette consécration : il meurt en 1953. La Fée Électricité est d’ailleurs considérée comme sa dernière grande œuvre. L'exigence de la création de ce chef-d’œuvre a causé bien des torts à l'artiste, qui a développé par la suite une polyarthrite rhumatoïde.

Raoul Dufy, La Fée Electricité, Paris, 1937, Musée d'Art Moderne de la ville de Paris © J'aime mon Patrimoine 

Un chef-d’œuvre préservé

Cécile des Cloizeaux devant La Fée Electricité de Raoul Dufy, Paris, 1937, Musée d'Art Moderne de la ville de Paris © J'aime mon Patrimoine

En 2020, La Fée Électricité a fait l’objet d’une campagne de conservation préventive, dirigée par Cécile des Cloizeaux. Mandatée par la ville de Paris, elle est chargée de l’entretien des collections du Musées d’Art Moderne de la Ville de Paris.

De récents travaux de soutènement ont mené Cécile des Cloiseaux et ses équipes à engager des examens préventifs de la Fée Électricité. En effet, de tels travaux peuvent être dangereux pour la stabilité de l’œuvre, celle-ci étant le résultat de l’assemblage de différents panneaux.

Il ne s’agit pas là d’une restauration, mais de mesures visant à constater l’état de La Fée, et pouvant entraîner d’éventuelles réparations. Cécile des Cloizeaux et ses équipes ont procédé en quatre temps : la réalisation de constats d’état, un premier dépoussiérage, la consolidation et enfin un dernier dépoussiérage.

Les constats d’état consistent ici en une observation minutieuse de l’œuvre, à l’aide d’une lampe spéciale diffusant une lumière rasante. Chaque cm² est scruté : cela a permis de révéler des soulèvements de matière ainsi que des défauts d’adhésion de la couche picturale.

 

Ces lacunes peuvent s’expliquer par l’histoire de l’œuvre : créée pour un mur courbe, son déplacement et son remontage dans une pièce différente ont entraîné des mouvements. De plus, chaque vibration, chaque changement hygrométrique ou de température peut engendrer des altérations.

Un premier dépoussiérage, à l’aide d’une brosse spéciale aux poils très fins, a permis de retirer un bourrelet de poussière noire. Cela a conduit à la phase de consolidation de l’œuvre, qui consiste en le refixage de la toile sur son châssis. Après cela, un ultime nettoyage des panneaux est réalisé. 

Cette opération, qui a mobilisé huit restaurateurs divisés en équipes de deux à trois, a duré 125 jours effectifs, à raison d’une demi-journée par panneau.

 

Restaurateurs et œuvres : un rapport privilégié

Le travail de restaurateur induit un rapport particulier aux œuvres. Si l’on peut être intimidé par cette proximité immédiate, par la grandeur d’une pièce ou par les enjeux qui sont liés à l’action de conservation préventive ou de restauration, ces sentiments laissent vite place à une sensation de privilège. Le restaurateur développe un rapport au geste du peintre plus intime que n’importe qui d’autre : il construit une relation sensible à l’œuvre

Cécile des Cloizeaux retient de ce travail sur La Fée Électricité une grande admiration pour le processus de création, sa rapidité et la qualité de son exécution. Pour elle, La Fée dégage une sensation de bien-être due au bain de couleur et de lumière. La Fée Électricité est aussi ludique en quelques sortes, car l’on peut s’amuser à repérer des détails particuliers ou encore à identifier les personnages.  

Cette proximité immédiate avec les panneaux a été l’occasion de découvrir des accidents de réalisation, comme des coulures ou des repentirs. Un trou dans la toile a même été décelé : initialement, une poutre passait par ce trou qui, depuis son installation au MAM, a été rebouché. Cette lacune est visible car la matière permettant de combler la lacune a évolué de manière différente au reste du panneau. 

 Découvrez La Fée Électricité comme vous ne l'avez jamais vue !

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